2024-01-04 Point de vue d’un Palestinien qui ne soutient pas le Hamas 4 janvier 2024 Par Youssef J.

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Point de vue d’un Palestinien qui ne soutient pas le Hamas 4 janvier 2024 | Par Youssef J.

La solution à ce conflit, c’est Israël et la Palestine : leurs peuples, surtout leurs jeunesses, méritent un avenir plus radieux. Pourquoi en est-on arrivé au 7 octobre, que penser de l’Autorité Palestinienne, et quelles pistes pour le lendemain ?

Le 7 octobre demeurera une date clé dans l’histoire du conflit Israélo-Palestinien : ce jour-là, les combattants du Hamas traversent les confins de Gaza et attaquent les localités avoisinantes, tuant au passage des centaines de résidents et prenant pour otages plus de deux cent personnes, hommes femmes et enfants inclus. Durant leur attaque ces combattants ont commis, vidéos a l’appui, des atrocités envers leurs victimes qu’aucun objectif nationaliste ou « libératoire » ne justifie, et ces actes sont justement considérés des crimes de guerre.

L’armée Israélienne a riposté, bombardant Gaza et entreprenant une invasion terrestre de ce territoire. Le nombre des victimes civiles palestiniennes à ce jour a dépassé les 22000, les blessés se comptent par milliers, et les infrastructures de Gaza, y compris écoles, hôpitaux, bâtiments publics, et habitations civiles sont en grande partie sinon complètement détruites.

Les tueries de civils doivent être universellement condamnées, et aucune population civile, où qu’elle soit et qui qu’elle soit, ne doit être exposée à de tels actes et à des pertes de vies. Pourquoi les hommes du Hamas ont-ils déployé tant de rage, de vengeance, et d’agressivité durant leur attaque ? Expliquer n’est en aucun cas justifier, mais, vu l’ampleur des drames du côté Israélien comme du côté Palestinien, il est impératif de connaître les raisons.

Le conflit Israélo-Palestinien dure depuis des décennies, avec son lot de l’occupation et de ses méfaits, de colonisation rampante en Cisjordanie, et d’humiliations quotidiennes aux points de contrôle innombrables dressés par l’armée Israélienne entre les villes et villages Palestiniens. Cependant il faut regarder plus près les développements du côté de Gaza (durant les 20 dernières années), du côté de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie (durant les 2 dernières années) pour comprendre que le statut quo espéré par le gouvernement Israélien était intenable et qu’une explosion annoncée n’était en fait qu’en attente.

Gaza était mis sous blocus durant plus ou moins les 15 dernières années, avec des ravitaillements étroitement surveillés par l’armée Israélienne, et des restrictions très lourdes sur les Gazaouis qui avaient besoin de se déplacer hors de Gaza que ce soit pour voyager ou pour des raisons familiales, pour étudier ou pour se soigner, même si c’est pour aller en Cisjordanie. Pour se rendre en Israël les permis de travail étaient délivrés à des adultes mariés soigneusement triés, laissant toute une génération de jeunes grandissant et murissant dans les confins de ce territoire, exposés uniquement à leur quotidien morose, sans avoir accès aux multiples facettes de vie que les jeunes de leur âge connaissent ailleurs. Plusieurs centres culturels et librairies ont été bombardés et détruits au fil des années par l’armée Israélienne, on se demande pourquoi. Les personnes de cette génération, aujourd’hui âgés de 20 ans ou quelques, ont été empêchés de par les conditions de vie infligées sur eux d’avoir un quelconque espoir d’un avenir meilleur. Ils sont ainsi devenus une audience captive pour les fondamentalistes religieux qui contrôlent Gaza et dont la doctrine première et la lutte armée contre Israël.

En Cisjordanie, le nombre de Palestiniens tués cette année entre janvier et septembre par l’armée Israélienne a dépassé les 200, un nombre jamais atteint en si peu de temps durant l’histoire récente de ce conflit, la plupart d’entre eux étant des habitants des camps de réfugiés de Jenine et de Naplouse, entre autres. Les soldats de l’armée Israélienne ainsi que les colons Juifs extrémistes ont été autorisés, par le gouvernement Israélien, à tirer et tuer, impunément et sans comptes à rendre, sur tout Palestinien qui leur semble agir de façon hostile ou suspecte. En plus les colons, enhardis par leur gouvernement, ont accru leurs attaques sur les Palestiniens dans les campagnes de Cisjordanie et sur les routes, et plus particulièrement contre les villages, coupant ou brulant les oliviers avoisinant, sachant très bien que les retombées économiques liées aux oliviers sont un moyen de subsistance vital pour ces villageois.

A Jérusalem-Est, les colons extrémistes ont aussi accru leurs efforts pour déloger des familles Palestiniennes de leurs maisons, plus récemment dans les quartiers de Cheikh Jarrah et de Silwan.

La mosquée El-Aqsa à Jérusalem-Est est probablement l’un des endroits les plus chargés émotionnellement pour les Musulmans. Les extrémistes Juifs le savent et pourtant ils ont multiplié leurs incursions sur ce site ces derniers mois. Ils le font pertinemment sachant que c’est une provocation très sérieuse pour les Palestiniens musulmans de Jérusalem et d’ailleurs. Là aussi ces extrémistes ont été encouragés par des ministres dans le gouvernement actuel, et sont même protégés par les services de sécurité Israéliens lors de leurs intrusions sur l’Esplanade des mosquées. C’est dans ce contexte que le Hamas a nommé son attaque « Déluge d’Al-Aqsa ».

Il est significatif que les attaques (perçues comme telles) de groupes extrémistes Juifs religieux contre un lieu sacré Musulman aient été opposées par une contre-attaque du groupe extrémiste religieux Islamique Hamas. C’est une évolution inopportune du cours du conflit Israélo-Palestinien pour beaucoup d’Israéliens et de Palestiniens séculaires, qui croyaient et qui croient toujours à une solution pacifique de ce conflit suivant le concept de la solution à deux états. L’Organisation de Libération de la Palestine et par la suite l’Autorité Palestinienne (AP) ont reconnu Israël depuis la signature des accords d’Oslo dès 1993. Il est vraiment étonnant qu’une majorité de médias occidentaux affichent un dénigrement persistant de l’AP depuis le début de cette dernière crise. Les Etats Unis et la Communauté Européenne ont aussi ignoré cette Autorité bien avant, alignant leurs positions sur celles des gouvernements Israéliens en place qui n’ont cessé de la discréditer durant les 20 dernières années.

Comment évaluer le bilan de l’AP ? Depuis la conférence de paix de Madrid et par la suite les accords d’Oslo, plus de 300,000 Palestiniens de la Diaspora ont pu revenir et s’installer en Cisjordanie et à Gaza, contribuant à la croissance économique et au développement des territoires Palestiniens, et contribuant au bien-être des citoyens Palestiniens dans l’ensemble.

L’AP a établi des institutions gouvernementales, a entrepris et achevé des travaux d’infrastructure, a promulgué des lois et directives qui ont encouragé des investissements publics et privés dans les travaux publics, les hôpitaux, les universités et les écoles, et les équipements touristiques. Les lois et directives ont aussi organisé le fonctionnement du cadastre et l’enregistrement des biens immobiliers, les échanges commerciaux, et les services de statut civil. Parmi les réalisations notoires il faut citer l’instauration d’un système d’assurance maladie très complet, et l’inauguration de musées ainsi que la réhabilitation de sites archéologiques (avec dans plusieurs cas l’aide d’organisations non gouvernementales, de la Communauté Européenne, et du Japon). Les services gouvernementaux et municipaux sont efficaces et en grande partie automatisés, rivalisant avec ceux d’autres pays avancés. Un secteur bancaire impressionnant s’est développé (parti de succursales d’une seule banque Jordanienne opérant en Cisjordanie et d’une banque locale à Gaza avant 1993, le réseau bancaire compte aujourd’hui plus d’une douzaine de banques Palestiniennes et régionales couvrant tous les Territoires Occupés, supervisés par une Autorité Monétaire qui impose les pratiques et les règles de conformité internationales). Un acquis essentiel de l’AP est le passeport Palestinien qui permet à son titulaire de voyager dans des pays sur les cinq continents.

Le président de l’AP, Mahmoud Abbas, a toujours soutenu une solution pacifique du conflit depuis les années 1990, et a essayé de mettre en œuvre les accords d’Oslo depuis son élection en 2005, sans y parvenir, puisque les gouvernements Israéliens successifs dirigés par le Likoud ne veulent absolument pas la solution des deux états. Ces gouvernements n’ont par ailleurs jamais cessé de miner Abbas et l’AP, privant les Palestiniens des rentrées financières dues à l’AP comme prévu par les accords d’Oslo concernant les impôts sur les importations des Territoires Occupés, et empêchant les élections parlementaires Palestiniennes parce que Abbas insistait que les Palestiniens de Jérusalem-Est devaient participer à ces élections. Abbas a souvent dénoncé les attentats solitaires perpétrés par des Palestiniens en Israël, les qualifiant « d’actes vains et absurdes » sachant très bien qu’il sera critiqué par ses détracteurs. Il a aussi soutenu les mesures de coordination sécuritaires entre l’AP et les services de sécurité Israéliens, qui tendaient à assurer la sécurité de ses citoyens civils aussi bien que celle des Israéliens civils, sachant, là encore, qu’il sera attaqué par ses détracteurs dont certains le qualifie de traitre. Si Israël et les puissances Occidentales avaient sérieusement travaillé avec l’Autorité Palestinienne et traité Gaza et sa population avec dignité et responsabilité, Israéliens et Palestiniens se trouveraient dans une situation infiniment meilleure que la situation actuelle.

Maintenant, qu’est-ce qu’il faut faire, tout de suite ?

Arrêter définitivement l’attaque militaire israélienne contre Gaza Relâcher tous les otages Israéliens, et relâcher tous les prisonniers politiques palestiniens des prisons israéliennes Acheminer suffisamment de médicaments et fournitures hospitalières, de denrées alimentaires et carburants, à Gaza. Il serait opportun aussi de permettre la venue d’un personnel médical temporaire à Gaza

Faire stationner des forces mandatées par les Nations Unis tout le long des frontières entre Gaza et Israël Procurer les fonds nécessaires pour la bien nommée UNRWA (L’Office de secours et de travaux des Nations Unis pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, établie en 1949!); son travail et ses services sont colossalement requis maintenant plus que jamais, pour restaurer un semblant de vie normale à la population de Gaza (L’UNRWA, déjà sur place, est responsable d’écoles, de cliniques, de fournitures de vivres, entre autre) Accepter l’état de Palestine en tant que membre à part entière à L’ONU (ce qui déclenchera des dynamiques constructives indéniables), et reconnaissance mutuelle entre la Palestine et Israël. Dans le court terme, il faudra de nouvelles élections législatives en Israël et en Palestine. Pour renforcer la sécurité des deux pays, et même si cela peut paraitre utopique à priori, deux séries de mesures doivent être mises en place :

Des lois doivent être promulguées (par un gouvernement de transition en Palestine, et par le parlement Israélien), stipulant que tout candidat(e) à des élections politiques doit, pour le côté Palestinien, reconnaitre la Palestine dans les frontières du 4 Juin 1967 (A savoir la Cisjordanie, Gaza, et Jérusalem-Est), et, pour le côté Israélien, reconnaitre les frontières de l’état d’Israël dans les frontières du 4 Juin 1967. Cela évitera, pour de bon, que des responsables Palestiniens au pouvoir rêvassent d’une Palestine historique «de la mer à la rivière » , et que des responsables Israéliens au pouvoir rêvassent d’un « Grand Israël» englobant la Cisjordanie et au-delà. En plus, les lois Israéliennes devraient prévoir des sanctions très précises concernant tout assassinat de Palestiniens, par des colons ou par des militaires Israéliens, pour ne plus laisser le champ libre à une « chasse au Palestinien » impunie et sans conséquences. De même, les lois Palestiniennes devraient prévoir des sanctions très précises concernant tout assassinat d’Israéliens par des Palestiniens. Les négociations politiques devront reprendre dans le cadre des résolutions des Nations Unies et sous l’égide de la communauté internationale. Les résolutions du Sommet Arabe de Beyrouth en 2002 ont repris les résolutions des Nations Unies et ont proposé la reconnaissance d’Israël par les états Arabes y compris l’Arabie Saoudite, dans le cadre d’un règlement instituant les deux états, et ceci bien avant les accords d’Abraham. La solution à ce conflit, c’est Israël et la Palestine : leurs peuples, surtout leurs jeunesses, méritent un avenir plus radieux.