2023-12-05 Les ruines par André Markowicz

Il y a des reportages, israéliens, sur les opérations militaires en cours, sur, censément, les grandes victoires de Tsahal à Gaza, aujourd’hui, et, hier, – le jour change, mais pas les images, qui ne se concentrent jamais sur ça, mais sur l’héroïsme et le dévouement des soldats israéliens, lesquels ne subissent que très peu de pertes, parce qu’ils avancent d’une façon professionnelle, – et ce qu’on voit, en arrière-fond, ce sont les ruines.

Quels que soient les angles de prise en vue, l’impression est que, soit le Hamas a mis des tunnels sous toutes les maisons, ou sur les toits des maisons, ou entre les étages, parce que, dans les images israéliennes même (et, très volontairement, je ne parle pas des autres reportages, potentiellement, sans doute, sympathisants des terroristes), il n’y a pas une immeuble intact.

En fait, ces images-là, sans le fait qu’on y voit des soldats israéliens, qui parlent hébreu quand on les entend parler, je me demanderais si elles n’ont pas faites par des journalistes infiltrés, avec des montages de vues d’Alep ou de je ne sais quelle autre ville e Syrie ou d’Irak.

Je le répète encore : on a toujours tort de ne pas prendre à la lettre ce que disent les fascistes. Netanyahou, dont la politique porte, directement et indirectement, une responsabilité écrasante dans l’horreur du 7 octobre, a dit qu’Israel allait répliquer de telle sorte, — je le redis en substance – qu’« ils » (va savoir qui, le Hamas, ou tous les Palestiniens, ou le monde entier ?) allaient s’en souvenir pendant des décennies.

Le but de la guerre, aujourd’hui, est clair : il s’agit de détruire tout. Et d’abord toutes les infrastructures, – tous les systèmes, déjà fort défaillants, d’adduction d’eau, d’électricité, que sais-je, tout ce qui permet une vie civile un tant soit peu quotidienne. Et tous les bâtiments, quels qu’ils soient, sans aucune distinction, – que ce soit les administrations, les établissements scolaires, les hôpitaux (parce que le Hamas les utilisait comme caches, – ce qui est, souvent, mais pas toujours, avéré). Mais il ne s’agit pas du Hamas. Il s’agit de faire que les gens, après, n’aient nulle part où aller. Parce qu’il s’agit aussi de détruire les lieux d’habitation : on ne le fait pas, toujours, exprès, mais nous sommes en guerre, et Israel utilise des systèmes ultra-modernes de guidage de ses bombes, avec des logiciels qui permettent de calculer, pour un terroriste tué, combien il peut y avoir de victimes extérieures (des gens qui ne connaissent ce terroriste ni d’Eve ni d’Adam, mais qui se font tuer parce qu’ils sont dans les environs). Ces logiciels calculent, et autorisent : pour un terroriste avéré écrasé sous un missile, deux cents, trois cents personnes sont tuées, vieillards, femmes et enfants, et, encore une fois, les enfants palestiniens n’ont, pour nous, ni nom ni visage. – Sachant, en outre, qu’Israel est un des plus grands exportateurs d’armes du monde, et qu’une guerre en vrai est une possibilité réelle de démontrer l’efficacité des produits que tu proposes.

Mais il ne s’agit pas seulement des maisons. – Dans un premier temps, après un blocus de l’eau et de l’électricité (qui, en soi, déjà, constituaient des crimes de guerre), Israel a donné ordre à toute la population de Gaza nord d’évacuer, en vingt-quatre heures. C’est-à-dire que, je ne sais pas, en ving-quatre heures, un million de personnes ont été censées prendre ce qu’elles pouvaient, et partir – personne ne disait où, dans quelles conditions, pour combien de temps, rien. Partir, parce qu’Israel allait commencer à bombarder. C’est-à-dire que, du jour au lendemain, un million de personnes (qui n’avaient déjà pas grand’chose pour la plupart – ce qui n’était certes pas le cas des chefs du Hamas) se sont retrouvés carrément sans rien. Juste sans rien.

Et ce déplacement de population, qu’on appellerait ailleurs un « nettoyage ethnique » ne suffisait pas, puisque, désormais, la guerre est passée dans le secteur sud, et que Netanyahou explique que le sud sera traité d’une façon aussi dure que l’a été le nord (entièrement, donc, détruit). C’est-à-dire que les gens qui se sont retrouvés agglutinés au sud, avec ceux qui étaient déjà au sud – dans un des endroits, je le rappelle, les plus densément peuplés du monde – se retrouvent sous les bombes, et la question de savoir où ils vont s’évacuer n’est même pas posée : j’ai l’impression qu’à moins de les laisser là, comme Staline avait interdit l’évacuation des habitants de Stalingrad, c’est l’Egypte qui sera mise devant le fait accompli, – il faudra bien qu’elle ouvre ses frontières et qu’elle ouvre le SInaï à des villes de tentes. Je ne sais pas.

Le but n’est pas seulement de détruire les conditions de vie, il n’est pas, non, de détruire physiquement les gens (même si, très sciemment, Israel ne regarde pas le nombre de pertes civiles qu’entraîne sa politique militaire), il est de les détruire mentalement. De les écraser non pas tellement sous les bombes (parce que les bombes ne vont pas durer dix ans), mais sous leur impuissance. De les transformer en loques, à la merci d’un ordre d’évacuation, ou d’un autre, ou de je ne sais pas quoi d’autre, mais toujours en sorte qu’ils soient comme un troupeau, poussé ici, poussé ailleurs, dépendant entièrement d’autrui, – de l’aide internationale, de la Croix-rouge, que sais-je – juste pour survivre, mais qu’ils n’aient jamais la possibilité d’envisager une vie à long terme.

Le but est là. Clair comme le jour. – J’allais dire noir comme le jour. De faire tellement peur que cette peur se transmette à des générations et des générations. Que les petits-enfants des enfants d’aujourd’hui tremblent rien qu’à s’en souvenir. – Sauf qu’ils ne trembleront pas. Ils haïront, et toujours plus. Et ils se construiront sur cette haine. Et, tout en forgeant la haine, en l’exploitant (parce qu’il n’y a rien à forger, en fait, elle est là, et elle est absolument générale, la haine pour l’oppression israélienne (qui devient très vite la haine pour le Juif en général), c’est une autre des victoires du Hamas que ce but-là – de transformer ce qui se présente comme une démocratie en ça, en machine à détruire, au nom d’une folie identitaire, quitte à détruire en plus ce qui reste de la planète pour reconstruire le Temple ou va savoir. Avec cet Israel-là, le Hamas ne peut qu’avoir un avenir radieux. Oui, dans les ruines de Gaza, c’est, réellement, un grand, grand boulevard qui s’ouvre à lui.