L’offensive israélienne sur Gaza ne ressemble en rien au génocide des Herero

Documents sauvegardés Vendredi 24 novembre 2023 à 13 h 33 1 document Par PARIS10T_1 Ce document est réservé à l’usage exclusif de l’utilisateur désigné par UNIVERSITE- PARIS-OUEST-NANTERRE-LA-DEFENSE et ne peut faire l’objet d’aucune autre utilisation ou diffusion auprès de tiers. • Tous droits réservés • Service fourni par CEDROM-SNi Inc. Sommaire Documents sauvegardés • 1 document L’Express (site web) 22 novembre 2023 Joël Kotek : “L’offensive israélienne sur Gaza ne ressemble en rien au génocide des Herero” … AOC. L’Express publie aujourd’hui le point de vue de l’historien belge Joël Kotek, professeur à l’Université libre de Bruxelles et à l’IEP de Paris, spécialiste des génocides … 3 Vendredi 24 novembre 2023 à 13 h 33Documents sauvegardés par PARIS10T_1 2Ce document est réservé à l’usage exclusif de l’utilisateur désigné par UNIVERSITE-PARIS-OUEST-NANTERRE-LA- DEFENSE et ne peut faire l’objet d’aucune autre utilisation ou diffusion auprès de tiers. • Tous droits réservés • Service fourni par CEDROM-SNi Inc. Joël Kotek : “L’offensive israélienne sur Gaza ne ressemble en rien au génocide des Herero” L’historien belge répond à l’anthropologue Didier Fassin, qui a établi un parallèle entre Gaza et le massacre des Herero perpétré par les colonisateurs allemands au tout début du XX? siècle… C’est un parallèle historique qui fait polémique. L’an- thropologue Didier Fassin, professeur au Collège de France, a, dansune tribune publiée par le journal en ligne AOCet intitulée “Le spectre d’un génocide à Gaza”, décelé de “préoccupantes similarités” entre la riposte israélienne à Gaza et le géno- cide des Herero perpétré par les colonisateurs allemands à partir de 1904 dans le Sud-Ouest africain (l’actuelle Namibie). Des historiens, philosophes et sociologues (dont Bruno Karsenti, Danny Trom ou Luc Boltans- ki)ont réponduà Didier Fassin sur AOC. La sociologue Eva Illouz aelle aussi cri- tiqué cette comparaisondans la revueK. et Philosophie magazine. Didier Fassins’est défendu sur AOC. L’Express publie aujourd’hui le point de vue de l’historien belge Joël Kotek, professeur à l’Université libre de Bruxelles et à l’IEP de Paris, spécialiste des géno- cides, notamment de celui des Herero. Si seulement les spécialistes de sciences sociales, lorsqu’ils interviennent dans le débat public sur des sujets d’actualité, ne s’ingéniaient qu’à intervenir dans leur champ de compétences, il y aurait as- surément moins de polémiques. J’en veux pour preuve la triste comparaison de Didier Fassin entre le génocide des Herero et la guerre menée par Israël contre le (seul) Hamas, développée dans une tribune intitulée “Le spectre d’un génocide à Gaza”. Le fait est que je suis, sans doute, le seul historien francophone à avoir tra- vaillé sur le génocide des Herero, étant spécialisé depuis près de trente ans dans l’étude des génocides. C’est bien ce savoir tout particulier qui m’oblige à recadrer Didier Fassin, dont je ne nie nullement l’intérêt qu’il porte au premier génocide du XX? siècle. Qu’on la souti- enne ou qu’on la condamne, l’offensive militaire israélienne sur Gaza ne ressem- ble en rien au génocide des Herero, et ce à plus d’un titre. Pourquoi? Certes, le premier génocide du XX? siè- cle débute par un massacre. Le 12 jan- vier 1904, les Herero, alors majoritaires dans la colonie du Deutsch-Südwestafri- ka (Sud-Ouest africain allemand), la fu- ture Namibie, se rebellent. Quelque 120 soldats et colons allemands sont mas- sacrés, à 97 % de sexe masculin. Fait notable, en effet, le chef Herero Samuel Maharero avait imposé de ne pas touch- er aux femmes, aux enfants, ainsi qu’aux Britanniques et aux prêtres. Mais là n’est pas l’essentiel, sauf bien entendu pour les prêtres, les Britanniques, les femmes et les enfants épargnés. L’essentiel est que le génocide qui suivit, au cours duquel périrent 80 % des membres de l’ethnie Herero, ne surgit pas subreptice- ment à la suite d’une quelconque séquence événementielle. Il fut pro- grammatique. Intention et décision Ce que semble ignorer Didier Fassin, c’est la nature même du concept de génocide. Le génocide n’est pas une vi- olence de masse comme les autres. Un génocide, ce n’est pas “beaucoup de morts”, à l’instar de la Syrie (500 000 morts), du Yémen (200 000), de la guerre civile algérienne (200 000) et de Gaza (11 000). C’est un acte criminel pensé, volontaire, prémédité, qui vise à assassiner dans sa totalité une popula- tion cible, à l’exemple des Herero, mais aussi des Arméniens, des juifs, des Tutsi ou des yézidis. Une parenthèse m’oblige à constater que Didier Fassin semble ig- © 2023 L’Express. Tous droits réservés. Le présent document est protégé par les lois et conventions internationales sur le droit d’auteur et son utilisation est régie par ces lois et conventions. Certificat émis le 24 novembre 2023 à UNIVERSITE-PARIS-OUEST-NANTERRE-LA- DEFENSE à des fins de visualisation personnelle et temporaire. news·20231122·EWL·ojpbqqnatndyzejlslr2qe2hny Nom de la source L’Express (site web) Type de source Presse • Presse Web Périodicité En continu Couverture géographique Nationale Provenance Paris, Ile-de-France, France Mercredi 22 novembre 2023 L’Express (site web) • 1721 mots Vendredi 24 novembre 2023 à 13 h 33Documents sauvegardés par PARIS10T_1 Documents sauvegardés 3Ce document est réservé à l’usage exclusif de l’utilisateur désigné par UNIVERSITE-PARIS-OUEST-NANTERRE-LA- DEFENSE et ne peut faire l’objet d’aucune autre utilisation ou diffusion auprès de tiers. • Tous droits réservés • Service fourni par CEDROM-SNi Inc. norer dans sa démonstration que le XXI? siècle a déjà connu son premier génocide : celui des yézidis. Il est vrai qu’il s’agit d’un génocide commis par des “racisés”. Cela ne le rend pas moins significatif. Le génocide est pensé; d’où l’importance de la notion d‘“intention”, explicitée dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l’ONU en décem- bre 1948. L’intention est de faire dis- paraître tout le groupe cible, physique- ment, sans échappatoire ni fuite. Evidemment, l’intention radicale de faire disparaître un peuple de trop sur terre ne suffit pas, celle-ci doit néces- sairement être sanctionnée par une dé- cision que l’on peut toujours dater avec une certaine précision. Dans tout géno- cide, il y a toujours un moment zéro, c’est-à-dire une décision qui conduit non pas à causer la mort de 1 % de la pop- ulation cible, mais d’en éliminer rapide- ment la part essentielle (80 %), c’est- à-dire tous les hommes et surtout les femmes et les enfants. Le génocide des Tutsi, ce sont 10 000 morts par jour du- rant cent jours. La Shoah, ce sont 5 500 morts par jour pendant quatre ans et de- mi. On connaît les conséquences du génocide arménien. Il y avait plus de 2 millions d’Arméniens en 1914 au sein de l’Empire ottoman, il en reste tout au plus 60 000 aujourd’hui en Turquie. Dans le cas de la Shoah, la décision date de juil- let 1941 pour les juifs soviétiques et d’octobre 1941 pour l’ensemble de la ju- daïcité européenne. On en connaît aussi les terribles effets. Un seul exemple : il y avait 3,3 millions de juifs en Pologne en 1939, seuls 300 000 survécurent, la plupart après avoir rejoint l’URSS, où ils subirent bien d’autres tourments. Il reste aujourd’hui en Pologne tout au plus 12 000 juifs. Et dans le cas des Herero? Contraire- ment à ce que pense Didier Fassin, l’ex- termination des Herero n’est pas due à un engrenage fatal, mais à la décision mûrement réfléchie, mieux encore, proclamée, du général en chef du corps expéditionnaire allemand, Lothar von Trotha, d’en terminer une fois pour toutes avec le peuple Herero. La guerre coloniale prit, dès les premiers jours, une forme génocidaire, où l’intention proclamée était non pas de soumettre l’ennemi, mais de l’éradiquer purement et simplement. C’est dans cette logique génocidaire que von Trotha, fort de l’ap- pui du gouvernement allemand, décida, lors de la bataille de Waterberg, le 11 août 1904, d’exterminer non seulement les quelque 5 500 combattants qui étaient venus à sa rencontre, mais aussi la majorité des civils, hommes, femmes et enfants, qui, par milliers, les accom- pagnaient. Le 2 octobre 1904, un ordre d’extermination (Vernichtungsbefehl)en bonne et due forme viendra compléter cette séquence génocidaire. Ce texte, rédigé en “petit nègre” est des plus clairs quant aux desseins génocidaires alle- mands : “Moi, le général des troupes allemandes, adresse cette lettre au pe- uple Herero. Les Herero ne sont plus dorénavant des sujets allemands. […] Tout Herero découvert dans les limites du territoire allemand, armé comme désarmé, avec ou sans bétail, sera abat- tu. Je n’accepte aucune femme ou en- fant. Ils doivent partir ou mourir. Telle est ma décision pour le peuple Herero.” Israël n’est pas né du colonialisme Où trouver l’équivalent israélien de l’or- dre d’extermination allemand? Com- ment nier les efforts, peut-être purement tactiques, voire cyniques, du comman- dement militaire israélien d’épargner au maximum les femmes, les enfants et les malades palestiniens (envois de SMS, mises en place de couloirs humanitaires, etc.) Et ce, à l’instar des Herero, mais pas des soldats du corps expéditionnaire allemand ni, faut-il le marteler, des ter- roristes du Hamas. Car il ne fait aucun doute que les mas- sacres du 7 octobre constituent, pour l’historien des violences extrêmes que je suis, une séquence génocidaire; les terroristes du Hamas exterminant jusqu’aux femmes enceintes. Question à se poser : ces massacres ne trouvent-ils pas leur source dans la charte originelle du Hamas, qui appelle à la destruction d’Israël, selon la belle expression désor- mais consacrée “de la rivière à la mer”? Car tout génocide s’inscrit dans un ter- reau idéologique qui ne laisse aucune place au doute ou à la pitié. On se sou- viendra des ouvrages du pasteur protes- tant Paul Rohrbach, qui théorisa, dans les années 1900, l’extermination des populations africaines hostiles à la colonisation. Ses écrits serviront de jus- tification à l’anéantissement des Herero et des Nama. En 1912, huit ans après le génocide, il trouvera encore les mots pour le justifier dans son best-seller La Pensée allemande dans le monde: “Qu’il s’agisse de peuples ou d’individus, des êtres qui ne produisent rien d’important ne peuvent émettre aucune revendica- tion au droit à l’existence. Nulle philan- thropie ou théorie raciale ne peut con- vaincre des gens raisonnables que la préservation d’une tribu de Cafres de l’Afrique du Sud […] est plus importante pour l’avenir de l’humanité que l’expan- sion des grandes nations européennes et de la race blanche en général. […] C’est seulement quand l’indigène a appris à produire quelque chose de valeur au ser- vice de la race supérieure, c’est-à-dire au service du progrès de celle-ci et du sien propre, qu’il obtient un droit moral à ex- Vendredi 24 novembre 2023 à 13 h 33Documents sauvegardés par PARIS10T_1 Documents sauvegardés 4Ce document est réservé à l’usage exclusif de l’utilisateur désigné par UNIVERSITE-PARIS-OUEST-NANTERRE-LA- DEFENSE et ne peut faire l’objet d’aucune autre utilisation ou diffusion auprès de tiers. • Tous droits réservés • Service fourni par CEDROM-SNi Inc. ister.” Du génocide comme instrument colonial et impérialiste! Suggérer, enfin, un lien entre le seul Etat juif de la planète et une entreprise colo- nialiste est tout aussi absurde. Israël n’est pas né du colonialisme, mais, à l’in- star de la Pologne, de l’Arabie saoudite de la Syrie ou du Liban, des ruines des empires centraux. Les juifs sont des nat- ifs, des indigènes. Il suffit d’ouvrir le Nouveau Testament pour constater que des juifs vécurent, à l’instar de Jésus et des apôtres, en Galilée et en Judée, des territoires qui ne s’appelaient pas encore la Palestine. Il suffit encore d’ouvrir le Coran pour découvrir qu’il y avait des juifs au VII? siècle dans le Hedjaz. Comment comprendre autrement le sur- gissement de l’islam, cette foi si proche du judaïsme? Surtout, comment oublier que la moitié des Israéliens sont orig- inaires du bassin méditerranéen, du Maroc, de Libye, d’Egypte, de Syrie, de… Palestine. Avant 1948, les juifs étaient aussi des Palestiniens. Conclu- ons avec Jacques Prévert : “Il ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec les allumettes.” La même formule s’ap- plique aux savants spécialisés, qui, mus par autre chose que le désir de com- prendre, s’aventurent hors de leur champ et s’emparent de ce qu’ils peuvent pour le but qu’ils se sont donné. Suggérer la possibilité d’un génocide à Gaza, c’est en effet jouer avec le feu dans le contexte d’une rue arabe qui n’attend qu’une étin- celle pour exploser. Contre les juifs. * L’historien Joël Kotek, professeur à l’Université libre de Bruxelles et à l’IEP de Paris, a notamment publié “Le géno- cide des Herero, symptôme d’un Son- derweg allemand?” (Revue d’histoire de la Shoah, vol. 189, n° 2, 2008, pp. 177-197); “Afrique : le génocide oublié des Herero” (L’Histoire, n° 261, janvier 2002); “Colonialisme et racisme comme matrice de la Shoah. Le cas du génocide des Herero” (inDu génocide des Ar- méniens à la Shoah. Typologie des mas- sacres du XX? siècle, sous la direction de Gérard Dédéyan et Carol Iancu, Pri- vat, Histoire, 2015, 640 p., pp. 431-439). Note(s) : Mise à jour : 2023-11-22 16:00 Vendredi 24 novembre 2023 à 13 h 33Documents sauvegardés par PARIS10T_1 Documents sauvegardés 5Ce document est réservé à l’usage exclusif de l’utilisateur désigné par UNIVERSITE-PARIS-OUEST-NANTERRE-LA- DEFENSE et ne peut faire l’objet d’aucune autre utilisation ou diffusion auprès de tiers. • Tous droits réservés • Service fourni par CEDROM-SNi Inc.